L’agriculture française, 60 ans de chute !
De grenier de l’Europe à dépendance alimentaire
Enquête journalistique – 1960‑2025
Pendant plus d’un demi‑siècle, l’agriculture française a été l’un des piliers de la puissance nationale. Modernisée à marche forcée dans les années 1960, elle a nourri la France, puis l’Europe, avant de devenir l’un des moteurs économiques de la construction européenne.
En 2025, le constat est radicalement différent : la France importe désormais une part croissante de son alimentation, voit ses filières s’effriter, et affronte une concurrence mondiale exacerbée, notamment via l’accord UE–Mercosur.
Ce dossier retrace cette trajectoire, chiffres à l’appui, et analyse les forces qui ont conduit à ce renversement historique.
1. Les années 60 : la révolution agricole et la naissance du “grenier de l’Europe”
Au sortir de la guerre, la France manque de tout : machines, engrais, main‑d’œuvre.
L’État lance alors une modernisation massive :
- mécanisation accélérée
- remembrement des terres
- irrigation
- sélection variétale
- engrais et pesticides de synthèse
- création de coopératives puissantes
En 1962, la Politique agricole commune (PAC) donne un cadre financier inédit.
La France devient rapidement 1er producteur agricole européen.
Une paysannerie encore immense
Dans les années 1950‑60 :
- plus de 2,3 millions d’exploitations
- près de 3 millions d’actifs agricoles
- plus de 25 % de la population active travaille dans l’agriculture
La France produit alors plus qu’elle ne consomme et exporte massivement blé, lait, viande et sucre.
2. 1970‑2000 : concentration, industrialisation, chute du nombre de fermes
À partir des années 1970, l’agriculture française entre dans une phase de restructuration brutale.
Un effondrement démographique
Entre 1955 et 2000 :
- le nombre d’exploitations passe de 2,3 millions à 665 000
- la population agricole chute de plus de 70 %
Les causes :
- mécanisation → moins de main‑d’œuvre
- agrandissement des exploitations
- spécialisation régionale
- baisse des prix agricoles réels
- départs massifs à la retraite
Une agriculture plus productive mais plus vulnérable
Les exploitations deviennent plus grandes, plus intensives, plus dépendantes :
- des intrants chimiques
- des marchés mondiaux
- des subventions européennes
- des fluctuations de prix
La France reste un géant agricole, mais la base sociale du secteur s’effondre.
3. 2000‑2020 : la France perd progressivement son excédent agricole
Au début des années 2000, la France affiche encore un excédent commercial agricole solide, porté par :
- les céréales
- les vins et spiritueux
- les produits laitiers
Mais dès les années 2010, plusieurs filières basculent dans le rouge.
La chute continue du nombre d’agriculteurs
En 2019 :
- environ 400 000 agriculteurs
- environ 250 000 ouvriers agricoles
- soit 2 % de la population active
En 40 ans, la France a perdu trois quarts de ses agriculteurs.
Un déficit croissant sur les produits du quotidien
La France devient importatrice nette sur :
- fruits
- légumes
- porc
- volaille
- produits transformés
Les importations progressent plus vite que la production nationale.
4. 2020‑2025 : souveraineté alimentaire en question
La décennie 2020 marque un tournant.
Entre crise climatique, hausse des coûts, normes environnementales et concurrence mondiale, l’agriculture française perd du terrain.
Les causes du décrochage
- coûts de production plus élevés que chez les voisins
- concurrence espagnole, néerlandaise, allemande
- vieillissement massif des exploitants
- transition écologique mal financée
- dépendance aux importations pour les fruits et légumes
- baisse de la consommation de viande
- volatilité des marchés mondiaux
La France reste un géant agricole… mais un géant fragilisé.
5. L’accord UE–Mercosur : un accélérateur de fragilisation
L’accord de libre‑échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) est devenu l’un des symboles de la colère agricole.
Des volumes d’importation massifs
L’accord prévoit l’entrée sur le marché européen de :
- dizaines de milliers de tonnes de bœuf
- grandes quantités de volaille
- sucre et éthanol à bas prix
Ces produits sont souvent issus de systèmes :
- moins réglementés
- moins coûteux
- utilisant des pesticides interdits en Europe
- liés à la déforestation (notamment bovin brésilien)
Une concurrence impossible à soutenir
Les filières françaises les plus menacées :
- bovin viande
- volaille
- sucre
- éthanol
- fruits et légumes
Déjà fragilisées, elles pourraient subir une vague de faillites.
Une alimentation plus bas de gamme
Les critiques portent sur :
- la qualité sanitaire
- la traçabilité
- les conditions d’élevage
- l’impact environnemental
Pour de nombreux agriculteurs, l’accord Mercosur symbolise une mise en concurrence déloyale et une dégradation de la qualité alimentaire.
6. Synthèse chiffrée
| Année | Exploitations | Actifs agricoles | Situation |
|---|---|---|---|
| 1955 | 2,3 millions | ~3 millions | Modernisation en cours |
| 1980 | ~1,2 million | ~1,6 million | France exportatrice nette |
| 2000 | 665 000 | ~1 million | Excédent agricole record |
| 2019 | ~390 000 | ~650 000 | Déficit sur plusieurs filières |
| 2025 | ~380 000 | ~2 % de la population active | Importations en hausse |
7. Conclusion : une puissance agricole en quête de renaissance
L’histoire agricole française est celle d’une ascension fulgurante suivie d’un lent décrochage.
De grenier de l’Europe, elle est devenue dépendante de produits qu’elle produisait autrefois en abondance.
La question n’est plus seulement économique.
Elle touche à la souveraineté, à la qualité alimentaire, à l’aménagement du territoire, et à l’avenir même du modèle agricole français.
La France peut encore rebondir :
transition agroécologique, relocalisation, innovation, renouvellement des générations…
Mais le temps presse


