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Fin de vie : quand la souffrance psychologique rebat les cartes

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Dans le débat sur la fin de vie, un constat revient avec insistance : la dernière année de vie est statistiquement la plus coûteuse pour les systèmes de santé. En France, comme dans de nombreux pays, les dépenses se concentrent massivement dans les derniers mois, alimentant parfois la crainte d’une “tentation économique” derrière les discussions sur l’aide à mourir.

Selon une enquête citée par Capital et réalisée par des experts de la Cnamts, les remboursements de la dernière année de vie s’élèvent en moyenne à 22 000 euros

Mais un autre phénomène, moins commenté, pourrait bien changer la perspective : la prise en charge de la souffrance psychologique réduit drastiquement le nombre de personnes qui maintiennent une demande de suicide assisté.

Un désir de mourir… ou un désir de ne plus souffrir ?

Dans les pays où l’aide à mourir est légale, les données montrent un schéma récurrent : une proportion significative des personnes qui expriment une volonté de mettre fin à leurs jours retirent leur demande lorsque leur douleur physique est mieux contrôlée ou que leur détresse psychologique est prise en charge.

Ce phénomène n’est pas marginal. Dans certaines études, jusqu’à la moitié des demandes initiales ne sont pas confirmées après un accompagnement renforcé. Les spécialistes y voient un signal clair : la demande de mourir n’est pas toujours l’expression d’un choix stable, mais parfois celle d’une souffrance non traitée.

Autonomie : une liberté sous conditions

L’argument central des partisans de l’aide à mourir repose sur l’autonomie individuelle. Choisir sa mort serait l’ultime expression de la liberté personnelle. Mais cette autonomie est fragile : elle dépend de l’absence de contrainte, de la lucidité, et surtout de la capacité à décider sans que la souffrance ne parle à la place de la personne.

Lorsque la douleur ou la détresse psychique altère le jugement, la décision n’est plus pleinement autonome. Les philosophes rappellent que la liberté réelle suppose un environnement qui libère la personne de la souffrance, non un contexte qui l’y enferme.

Vulnérabilité : la face cachée des demandes de mort

La vulnérabilité est au cœur du débat. Vieillesse, maladie, isolement, perte d’autonomie : autant de facteurs qui peuvent pousser une personne à envisager la mort comme une échappatoire. Les études montrent que les personnes seules ou défavorisées sont surreprésentées parmi les demandes d’aide à mourir dans certains pays.

Cette donnée interroge : la demande de mort est-elle toujours un choix, ou parfois une conséquence de l’abandon social ?
La société a-t-elle le devoir de protéger la vulnérabilité, ou de la valider ?

Dignité : un concept disputé

La dignité est invoquée par les deux camps.
Pour les uns, permettre à une personne de choisir sa mort, c’est préserver sa dignité face à la déchéance physique.
Pour les autres, la dignité ne dépend pas de l’état du corps, mais du regard porté sur la personne : une société digne est celle qui accompagne, pas celle qui renonce.

La question devient alors : la légalisation de l’aide à mourir est-elle une reconnaissance de la dignité individuelle, ou une démission collective face à la fragilité humaine ?

Le spectre de l’argument économique

La pression exercée par le gouvernement français pour faire voter une loi sur le suicide assisté fait monter les peurs et le refus.

Où en est réellement la loi ? L’Assemblée nationale a adopté en mai 2025 deux textes :

  • un renforcement des soins palliatifs,
  • et une loi instaurant un “droit à l’aide à mourir”, incluant suicide assisté et euthanasie, sous conditions strictes.

Le gouvernement a demandé au Sénat d’examiner ces textes, mais des tensions politiques ont provoqué des reports.
Le projet initial avait été scindé en deux dès janvier 2025 : un texte sur les soins palliatifs, un autre sur l’aide à mourir.

Pourquoi cette impression de pression et de rejet ?
Les données disponibles montrent que l’opinion publique est loin d’être unanime :

  • Une étude de la Fondapol indique que les Français n’approuvent pas la proposition de loi telle qu’elle a été formulée, notamment parce qu’elle ouvre l’aide à mourir non seulement aux personnes en fin de vie, mais aussi à celles en “phase avancée d’une grave maladie”.
  • Le débat est décrit comme une “rupture anthropologique” par certains, et comme un “nouveau modèle français de la fin de vie” par d’autres.

Ce contraste nourrit les peurs, les accusations de passage en force, et un sentiment de division profonde.

Si aucune preuve ne montre qu’une politique publique cherche à réduire les dépenses en facilitant l’euthanasie, l’argument économique circule néanmoins dans le débat public. La dernière année de vie étant la plus coûteuse, certains craignent qu’une logique utilitariste puisse, à terme, influencer les décisions.

Ce risque théorique est d’autant plus sensible que la prise en charge de la souffrance — physique, psychologique, sociale — modifie profondément les demandes de mort.

Si accompagner fait reculer le désir de mourir, que signifie alors une politique qui privilégierait l’accès à la mort plutôt qu’à l’accompagnement ?

Un débat qui révèle nos contradictions

Au croisement de l’autonomie, de la vulnérabilité et de la dignité, la question de la fin de vie révèle une tension profonde de nos sociétés modernes :

  • Nous valorisons la liberté individuelle, mais nous savons qu’elle est fragile.
  • Nous proclamons la dignité humaine, mais nous avons du mal à accompagner la dépendance.
  • Nous voulons protéger les plus vulnérables, mais nous craignons le coût de leur prise en charge.

La manière dont nous répondrons à ces contradictions dira beaucoup de ce que nous considérons comme une vie — et une société — véritablement humaines.