Quand les étoiles parlent : une leçon du Kalahari
Dans Le Monde perdu du Kalahari, l’explorateur Laurens van der Post rapporte une scène qui, à elle seule, renverse notre manière d’habiter le monde. Un soir, autour du feu, les Bushmen du désert lui posent une question d’une simplicité désarmante :
« Pourquoi n’entends-tu pas les étoiles ? »
Van der Post rit, persuadé qu’il s’agit d’une plaisanterie. Mais leurs visages restent graves. Pour eux, ce n’est pas une boutade, encore moins une énigme. C’est une évidence. Une évidence cosmique.
Lorsqu’ils comprennent que l’explorateur ne perçoit réellement aucun son venu du ciel nocturne, leur expression change. La joie se dissipe, remplacée par une tristesse profonde — une tristesse qui n’a rien à voir avec la moquerie ou la condescendance.
C’est la compassion que l’on éprouve pour quelqu’un qui a perdu un sens essentiel, non pas biologique, mais cosmique.
Une autre définition de l’écoute
Pour les Bushmen, entendre les étoiles n’est pas une métaphore poétique. C’est une expérience vécue, un mode d’attention au monde. Le bruissement du ciel, le frémissement de la nuit, les pulsations du désert : tout cela forme une texture sonore subtile, un langage que l’Occident a oublié.
Dans leur cosmologie, la nature n’est pas un décor. Elle parle. Elle respire. Elle répond.
Ne pas entendre les étoiles, c’est être coupé de cette conversation millénaire.
Là où l’Occident a inventé la surdité comme déficit sensoriel, les Bushmen y voient une rupture relationnelle.
La véritable tragédie n’est pas de perdre l’ouïe, mais de perdre le lien.
Une fracture invisible
Ce moment de malentendu révèle un fossé culturel immense. Van der Post, comme beaucoup d’explorateurs de son époque, arrive avec une vision du monde façonnée par la rationalité, la mesure, la séparation entre l’homme et la nature. Les Bushmen, eux, vivent dans une continuité totale avec leur environnement. Ils n’écoutent pas pour comprendre : ils écoutent avec le monde.
Leur tristesse n’est pas dirigée contre l’explorateur.
Elle est dirigée contre ce qu’il représente : une humanité qui s’est progressivement rendue sourde à l’univers.
Entendre les étoiles : une invitation
Cette anecdote, relayée notamment par la communauté David Attenborough Fans, résonne aujourd’hui avec une force particulière. À l’heure où nos nuits sont saturées de lumière artificielle et nos esprits de bruit numérique, la question des Bushmen prend une dimension presque prophétique :
Et nous, pourquoi n’entendons-nous plus les étoiles ?
Peut-être parce que nous avons cessé d’écouter.
Peut-être parce que nous avons oublié que le monde n’est pas seulement visible, mais sensible.
Peut-être parce que nous avons rompu le fil qui nous reliait au cosmos.
Retisser le lien
Entendre les étoiles ne signifie pas percevoir un son physique.
Cela signifie retrouver une qualité d’attention, une disponibilité intérieure, une forme d’humilité devant le mystère du monde. Faire confiance à autre chose qui est là depuis toujours mais que nous avons oublié.
Les Bushmen nous rappellent que l’univers n’est pas silencieux.
C’est nous qui avons perdu l’oreille.


